Directive droit d’auteur : une occasion manquée ?
Après quatre ans de péripéties, la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits des artistes devait être débattue cet été. Sauf que la crise sanitaire a chamboulé le calendrier et que la transposition de ce texte dans le droit français s’est faite en catimini. Il s’agit pourtant d’une opportunité rare pour changer la façon de rémunérer les artistes sur Internet.
En quelques années, l’explosion des « GAFAN » (acronyme qui désigne Google, Amazon, Facebook et Netflix) et des plateformes de streaming en tous genres a généré son lot de dégâts collatéraux. Principales victimes : les artistes… dont les géants du web utilisent largement le travail et leur image. Ceux qui produisent l’audience se retrouvent donc privés d’une part considérable de leurs revenus, tandis que les plateformes prospèrent. Face à cette situation, la Directive européenne 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins (ceux qui concernent les artistes-interprètes) dans le marché unique numérique, plus connue sous le nom de « Directive droit d’auteur », tente de remettre un peu d’ordre en adaptant les principes fondateurs de la propriété intellectuelle et artistique aux nouveaux usages de l’ère digitale.
En filigrane, c’est la question d’une juste rémunération des artistes qui est en jeu. Pourtant, ce texte continue à être attaqué. Dernier rebondissement en date : début octobre, l’Assemblée nationale a entériné la transposition par ordonnances de la directive. De quoi priver les acteurs du secteur d’un indispensable débat et, peut-être, des bénéfices d’une telle réforme. Retour sur des années de bataille juridique et sur les enjeux pour vous, artistes-interprètes.
En Europe, un long chemin de croix
Si la Commission de l’Union européenne évoque cette directive depuis 2016, il faut attendre deux ans pour qu’elle livre une position commune et que le Parlement européen confie à l’eurodéputé allemand Axel Voss la rédaction d’un rapport. Ce texte, adopté par la Commission Juridique le 20 juin 2018, inaugure une longue série de passe d’armes entre partisans d’un Internet libre et défenseurs du droit d’auteur.
À l’époque, plusieurs points cristallisent les tensions. Un des articles du projet de directive propose notamment de rééquilibrer les rapports de force entre créateurs et plateformes d’hébergement de vidéos. Sans le nommer, c’est YouTube qui est visé. Bien caché derrière ses conditions d’utilisation qui l’exonèrent de toute responsabilité quant au contenu diffusé par ses utilisateurs, le géant de la vidéo en ligne propose des millions de contenus musicaux sans détenir la moindre licence d’utilisation.
Le texte est amendé plus de 200 fois avant d’être finalement rejeté en juillet 2018. Mais la mécanique est lancée et, au terme d’un autre long processus de négociations, la Directive est adoptée etentre enfin en vigueur le 7 juin 2019. À charge, pour les États membres, de l’adapter à leur droit national dans les deux années qui suivent.
La rémunération des artistes : un principe, pas de moyens
Dans ce texte, une disposition spécifie que : « les États membres veillent à ce que, lorsque les auteurs et les artistes-interprètes ou exécutants octroient sous licence ou transfèrent leurs droits exclusifs pour l’exploitation de leurs œuvres ou autres objets protégés, ils aient le droit de percevoir une rémunération appropriée et proportionnelle. »
En clair : l’Union Européenne reconnaît que les artistes doivent percevoir des revenus conformes au succès rencontré par l’œuvre à laquelle ils ont participé. Une première pour cette catégorie professionnelle souvent exclue de ce type de dispositif, contrairement aux auteurs ou aux producteurs. Or, il y a un « hic » : si la directive édicte le principe, elle délègue la définition des moyens pour y parvenir à chaque État membre.
En France, reculer… pour ne pas sauter ?
Au début, la France se précipite sur l’occasion et fait partie des premiers à entériner la transposition, le 23 juillet 2019. La rémunération des artistes entre dans le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, prévu pour l’été 2020. Mais, il était dit que rien ne serait facile : la crise sanitaire bouleverse le calendrier parlementaire et l’examen du projet de loi est reporté aux calendes grecques.
Nous voilà donc à l’automne, moment où l’Assemblée choisit finalement de se passer de débats pour transposer la directive. Tout l’écosystème, des artistes qui ont besoin de ressources pour continuer à créer, aux plateformes qui ne peuvent survivre sans ces contenus, ont à y gagner. Mais le gouvernement a choisi une autre voie, s’engageant toutefois à rester vigilant sur la mise en œuvre de cette rémunération. Une promesse floue à laquelle l’Adami oppose la nécessité d’actes forts. La balle est désormais dans le camp de la ministre de la Culture qui doit préciser les mesures concrètes censées permettre le respect de cet engagement.
> le communiqué de presse du 8 octobre 2020
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