Jamel Debbouze, lauréat du Prix 2022
L’Adami, société au service des artistes-interprètes, décerne chaque année ce prix qui honore l’engagement citoyen d’un artiste à travers son métier ou ses actions. Ce prix, doté de 10 000 €, symbolise la place essentielle des artistes dans la société.
Le Prix Adami de l’artiste citoyen 2022 a été remis le 9 mai à Jamel Debbouze, par Pierre Lescure, en présence de Annelise Clément, vice-présidente de l’Adami, et Bruno Boutleux, directeur général. Ils ont souligné la personnalité de Jamel Debbouze profondément optimiste et porteuse d’espoir pour les jeunes générations, et salué son action, entièrement dédiée à mettre en lumière la scène émergente.
Jamel Debbouze, particulièrement ému et honoré de recevoir ce Prix, choisit de reverser l’intégralité de la dotation du prix à l’association Les Ami(e)s du Comedy Club, créée à l’automne 2012, dont il est le président. Cette association œuvre à favoriser l’émergence de nouveaux talents, à diffuser des pratiques artistiques et culturelles, et à participer à la mixité sociale de la société actuelle.
Artiste au grand cœur
Entretien avec Jamel Debbouze
Son remarquable parcours a défriché le terrain pour de nombreux humoristes qui remplissent désormais les salles de spectacle. Pas surprenant que Jamel Debbouze ait fait de l’altruisme et de la transmission les maîtres-mots de son association les Amis du Jamel Comedy Club, fondée en 2014. Pas surprenant non plus qu’il ait vu les choses en grand, et même sur grand écran. L’objectif ? Accompagner de nouveaux talents, comme avec le dispositif Talents en Court, lancé par le CNC en 2012 afin d’aider des réalisateurs en herbe à s’épanouir, et permettre, via son opération Filmer l’avenir, de cultiver l’attrait de jeunes pousses des quartiers populaires pour le septième art. Jamel revient sur ces initiatives qui mettent en lumière d’autres visages ou suscitent des vocations à l’occasion de la remise du prix Adami de l’artiste citoyen 2022.
Que se passe-t-il concrètement lors des sessions Talents en court ?
C’est le même principe que le Jamel Comedy Club sauf que c’est du cinéma. On s’adresse à la scène émergente : des autodidactes persuadés d’avoir du talent et des choses à dire mais qui n’ont ni les contacts ni les financements pour voir aboutir leurs projets. On organise des rencontres au Comedy Club avec des professionnels du milieu. Nos encadrants les préparent à l’exercice avant qu’ils pitchent les scénarios de leurs courts métrages devant une centaine de collaborateurs potentiels. Et souvent ça marche ! 70% des projets aboutit. On a même vu des gamins passés chez nous gagner des César, comme Maïmouna Doucouré avec son court Maman(s) en 2017, qui a aussi été primé au Festival de Toronto et à Sundance. Chaque année, Aurélie Cardin et Steve Achiepo, qui chapeautent l’association de main de maître, sélectionnent 50 projets sur 300 candidatures. Ce qui est super, c’est qu’après avoir tourné leurs films, des réalisateurs transmettent leur savoir pendant Filmer l’avenir, une opération qu’on a montée en 2020 dans le cadre de l’été culturel avec Talents en court et le Festival CinéBanlieue.
En quoi consiste-t-elle ?
On va dans les quartiers pour donner envie aux jeunes de faire du cinéma, en collaboration avec les associations qui font un travail formidable sur place toute l’année. Il s’agit de leur montrer que c’est possible, même avec des téléphones portables. Les gamins sont encadrés par les personnes qu’on a formées. Ils se composent en groupes de 4 à ou 5 pour tourner des courts métrages de 90 secondes. Chacun son rôle : scénariste, réalisateur, comédiens… Un petit kit sur les rudiments de la dramaturgie et du cadrage les aide. Leurs films sont ensuite diffusés au Comedy Club et sur FranceTV Flash, la plateforme de France Télévisions, notre partenaire historique. Une vingtaine de villes participent partout en France, les DOM-TOM compris. On a touché 800 jeunes en deux ans. A la fin de l’été, ils seront 1200. On aimerait étendre ces ateliers à toutes les vacances scolaires.
Certains courts vous ont impressionné ?
Il y a des choses surprenantes ! On ne juge pas la qualité. On essaye d’aller chercher une énergie. Dans un tout autre registre, quand on a vu débarquer Diams la première fois, on remarquait de suite une énergie folle. Même dans des films très courts on peut voir les prémices de ce feu-là. Des points de vue aussi d’ailleurs. La différence entre ceux qui en ont un et ceux qui n’en ont pas se remarque vite. Certains ont le sens du cadrage, ça se repère aussi rapidement. On les accompagne sans rien leur imposer, sauf la durée de 90 secondes et une thématique. Cette année, c’est Joue là collectif. J’arrive mieux à déceler l’artiste dans un court métrage tourné avec un smartphone que dans un long tourné avec une caméra. On voit très rapidement quand quelque chose se passe, quand il y a une étincelle. Et puis de la contrainte naît la créativité. Je viens de là moi-même : faire tout avec rien.
Vous êtes vous-même issu d’un quartier populaire, est-ce pour ça que cette initiative vous tient à cœur ?
Lorsqu’on me demande depuis quand je suis engagé, je réponds depuis ma naissance le 18 juin 1975. J’ai très vite été dans des trucs chiants d’adulte. A huit ans, je savais déjà ce que c’était une facture. C’est moi qui prévenais ma mère quand les huissiers allaient débarquer. On constate d’abord les choses avant de pouvoir influer dessus. Je me suis fait tout seul mais on m’a beaucoup aidé. J’ai eu la chance de tomber sur des gens comme Alain Degois, Jacques Massadian, Jean-François Bizot, Alain De Greef ou Pierre Lescure. C’est vrai qu’il existe encore des barrières, que les producteurs ne vont pas assez dans les quartiers, mais quand il y a du talent il y a du talent. Il faut juste un coup de pouce. J’ai eu la chance d’en avoir un ce qui m’a permis de débroussailler le chemin pour les générations suivantes. J’ai réussi à entrer par la porte principale puis j’ai ouvert celle de la sortie de secours pour laisser entrer plein de monde, comme avec le Jamel Comedy Club. Pas parce qu’on m’avait donné quelque chose que je pensais devoir rendre. Juste parce que pour moi c’est normal, basique. Mais bien sûr que ça apporte de la fierté et de la joie.
En parlant de scène, vous soutenez aussi le Trophée d’Impro Culture & Diversité, initié en 2010 avec Marc Ladreit de Lacharrière, le président de la fondation Culture & Diversité…
Il y a des ateliers dans les collèges et des matchs d’impro entre établissements. Vingt-six-mille élèves en bénéficient. Le 24 juin, il y aura même un match à la Comédie Française. Des gamins de Trappes, Dreux, Bordeaux vont jouer dans la salle Richelieu. Symboliquement, c’est très fort ! Après ce match, on va mettre les bouchées doubles et essayer de faire comprendre au nouveau gouvernement qu’il faudrait que l’improvisation soit enseignée dans les collèges, parallèlement à l’option théâtre. Tous les gamins qui ont commencé continuent. On en voit qui réussissent grâce à ça. Il y a vraiment une évolution. Les gens ne peuvent pas comprendre tant qu’ils n’ont pas vu un gamin qui souffre aller mieux. L’impro, c’est un psychologue de poche. Ça rend plus beau, plus grand, plus fort, plus intelligent.
Propos recueillis par Baptiste Thion