IA, SAISON 2
La saison 1 de l’Intelligence artificielle (IA), c’était, pêle-mêle, des artistes interprétant une œuvre qu’ils n’avaient jamais enregistrée ; des comédiens de doublage qui donnèrent de la voix pour préserver la leur ; des législateurs européens en ébullition pour faire avancer l’IA Act, sur les bureaux depuis 2018 ; des scénaristes et acteurs américains en grève, vent debout contre les plateformes de streaming et leur injuste rémunération, ainsi qu’un encadrement clair de l’utilisation de l’IA, afin qu’elle ne les supplante pas.
Une saison de mise en place, à laquelle succède une saison 2 s’ouvrant sur des pistes de résolution.
On fait le point.
Episode 1 : fin de la grève des acteurs et scénaristes américains
148 pour les scénaristes, et 118 pour les acteurs : voici le nombre de jours qu’aura duré cette grève sans précédent, qui a ouvertement et pour la première fois mis sur la table les inquiétudes relatives à l’IA partagées par l’ensemble de la profession.
Les scénaristes redoutant l’écriture de scripts entièrement réalisés par les robots, tandis que les acteurs nourrissaient une double crainte : que leur voix, mais aussi leur image, soit clonées sans aucune limite de temps ou de nombre d’utilisation, et surtout sans compensation.
Concernant l’IA, le principe du consentement est sanctuarisé. Les studios devront solliciter les comédien(ne)s avant de générer leurs doubles virtuels, et après création, ils ouvriront droit à rémunération. Même chose pour les figurants, qui ne seront pas remplacés par des clones virtuels. Certains s’inquiètent en revanche d’un flou qu’ils jugent peu artistique sur les compensations financières dues par l’utilisation d’un double.
Une réévaluation biannuelle de l’état de la technologie a également été obtenu, afin que ces dispositions a priori avantageuses ne deviennent pas trop vite obsolètes.
Episode 2 : l’IA-Dieu, ou la résurrection des morts
Si le consentement des comédiens est indispensable pour la création de leur double via l’IA, c’est celui des héritiers et ayants droit qui devra être recueilli pour les artistes disparus.
Et c’est déjà chose faite : un biopic animé sur Edith Piaf sera réalisé en utilisant sa voix et son image. En l’occurrence, les héritiers sont d’accord, et même émus de ressentir à nouveau la présence de leur aïeule.
Une disposition bienvenue côté US, mettant fin, on l’espère, à des émotions moins sympathiques comme pour Zelda, la fille de Robin Williams.
Episode 3 : professionnels et grand public exigent de la transparence
Les organisations professionnelles, et notamment l’Adami, réclament une transparence absolue dans le modèle d’utilisation de l’IA, comme rappelé dans son communiqué de presse du 17 novembre dans le cadre des négociations sur l’IA Act à Bruxelles.
Elle estime que seule la « transparence sur les données d’entraînement et les contenus générés pourra apporter des garanties aux citoyens et créateurs sur le respect de leurs droits ».
Comme un écho qui ne pouvait mieux tomber, l’IFPI (fédération internationale de l’industrie phonographique) a publié fin novembre les résultats d’une vaste étude relative aux relations entre fans de musique et IA.
Cerise sur le gâteau : 79% des 43 000 personnes interrogées déclarent vouloir conserver la création humaine, et la même proportion estime que le consentement d’un artiste pour son clonage ou l’utilisation de sa voix comme de sa musique est une condition absolument indispensable.
Episode 4 : IA, travaux pratiques
YouTube proposera dans les prochains mois une transparence via un système d’étiquetage des contenus créées à partir de l’IA. Une vidéo taguée comme « synthétique » avertira donc le public qu’elle a été « techniquement manipulée ». Si le contenu est jugé sensible, portant par exemple sur des élections, des questions de santé publique ou encore des conflits en cours, et ce de manière réaliste, alors une étiquette devra apparaître dans le lecteur vidéo.
Des sanctions allant jusqu’à la suppression du compte de l’utilisateur sont prévues en cas de non-respect de ces nouvelles obligations de transparence.
De l’autre côté du spectre, la plateforme compte utiliser le potentiel de l’IA pour offrir une meilleure expérience utilisateur, via deux axes : d’un côté, mieux organiser les commentaires en les regroupant par thème ou sujet ; et de l’autre un robot conversationnel, capable de fournir des réponses aux questions sur la vidéo au fur et à mesure du visionnage, en fournissant des informations de base et des suggestions de contenu semblable, sans interrompre la lecture.
Episode 5 : IA Act, une grande étape de franchie !
Le Trilogue (négociation entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union Européenne et la Commission européenne) a abouti à un accord sur l’IA Act vendredi 8 décembre 2023, instaurant les premières règles au niveau mondial de contrôle de l’IA.
Les délais ont été tenus malgré les divergences et les négociations nombreuses pour arriver à un accord politique, réunissant les défenseurs de l’autorégulation (notamment la France et l’Allemagne) et ceux en faveur d’un système d’encadrement strict de l’IA par la loi européenne.
La nouvelle directive européenne sur l’IA aborde évidemment les questions relatives aux IA génératives, depuis leur raccrochement au train législatif en cours d’année dernière, face à l’explosion de ChatGPT.
Sur ce sujet extrêmement clivant qui a failli faire capoter l’ensemble du projet législatif, un compromis a été trouvé avec un système à double vitesse : d’un côté des obligations plus fortes pour les modèles les plus puissants (mettre eux-mêmes en œuvre un système d’évaluation et de suivi de leurs systèmes, assorti de l’obligation de rentre compte à la Commission des incidents graves), de l’autre de simples obligations de transparence (notamment le respect de la législation européenne en matière de droits d’auteur) ainsi qu’une exigence de qualité des données utilisées et l’identification des textes/sons/images générés par IA.
Une position française ambigüe
A peine l’IA Act voté, les regrets* du Président Macron qui juge cet accord trop contraignant pour les opérateurs IA européens, interpellent le secteur culturel qui s’attendait à un soutien plus évident de l’Etat sur la question qui fait débat, à savoir la transparence sur les données d’entraînement des IA génératives (cf supra).
Serait-ce en raison de la présence de Cédric O (Secrétaire d’Etat au numérique de mars 2019 à mai 2022) de chaque côté des rangs, en tant que membre du comité interministériel de l’intelligence artificielle mis en place par Elisabeth Borne, mais également « conseiller co-fondateur » de Mistral AI, la start-up française (qui vient de lever 385 millions d’euros après le vote de l’UE), concurrente de ChatGPT ?
> lettre ouverte publiée par 80 signataires, rappelant la nécessité fondamentale d’un modèle reposant sur la transparence.
* Discours prononcé à l’occasion des deux ans du plan d’investissement France 2030, à Toulouse, le 11 décembre 2023
PARLEZ IA.. pour tout savoir sur ce nouveau jargon
Intelligence artificielle (IA)
Ensemble informatique capable de reproduire l’intelligence humaine, en tout ou partie.
Cet ensemble comprend des algorithmes, des logiciels, des données informatiques, qui, combinés, produisent des résultats en fonction d’une demande précise.
En gros, ce sont des robots capables de raisonner et apprendre, sur la base d’informations fournies et/ou choisies par des êtres humains.
IA générative
C’est l’intelligence artificielle qui produit du contenu.
C’est celle qui fait peur aux artistes, parce qu’elle se nourrit, pour produire ses « œuvres » (picturales, musicales, rédactionnelles, photographiques…) des œuvres produites par les humains et déposées dans sa base d’apprentissage.
Input
Ensemble des données que l’on donne aux systèmes d’IA pour entraîner leur apprentissage. Par exemple, toutes les photos réalisées depuis l’invention de la photo par Niepce et disponibles (libres de droit, a priori), que l’on donne à un logiciel d’intelligence artificielle, pour qu’il puisse, sur cette base, produire un contenu (output) qui répondra à une commande (prompt).
Output
Contenu crée par l’IA générative sur la base de ces données. Le morceau de Drake et The Week-End qu’ils n’ont jamais interprété dans la vraie vie, la photo qui a gagné un premier prix de concours…
Prompt
Ce que vous voulez obtenir de l’intelligence artificielle, ce que vous voulez qu’elle réalise.
C’est votre commande adressée à un système d’IA, comme par exemple : « comment écrire une chanson pop », ou « crée une chanson pop » à ChatGPT, ou encore « vidéo avec un bébé qui effectue ses premiers pas avec sa mère en arrière-plan version animée manga ».
Opt-out
Le choix pour un artiste / créateur de ne pas autoriser que son oeuvre soit utilisée pour entraîner un logiciel d’IA.
Par exemple : un journaliste qui s’oppose à l’utilisation de ses articles pour alimenter la base de données de l’IA.
Exponentielle
Qui augmente de manière continue et de plus en plus vite. Pour l’IA, concrètement, elle double tous les 6 mois.
Datamining
Signifie que l’IA se « nourrit » de données, puis qu’elle commence à les analyser et les organiser selon différents axes, pour les transformer en ensemble de données utiles et cohérentes.