Explorer les programmes « culture » des candidats à l’élection présidentielle 2022 n’est pas une mince affaire. Il a fallu d’abord attendre que les candidats sur la ligne de départ soient connus, le feuilleton de la course aux cinq cents parrainages ayant prolongé le suspense jusqu’à la dernière minute. Il a fallu ensuite s’armer de la persévérance de l’archéologue pour fouiller les programmes à la recherche de leur projet culturel.
Éducation et démocratisation, les deux mamelles de la culture
Emmanuel Macron (LREM), qui a attendu la toute dernière minute pour se déclarer, a présenté son programme le 17 mars dernier. Côté Éric Zemmour (Reconquête), la culture a déserté le discours et ses 13 piliers. Quant à Marine Le Pen (RN), si l’une de ses trois valeurs met en exergue la protection du patrimoine matériel et immatériel de la France, ses 22 propositions pour 2022 font l’impasse sur le sujet, sauf si l’on donne un accent culturel à la grande priorité nationale donnée au tourisme. Quelques traits saillants sont partagés par une majorité des candidats restants : la priorité donnée à l’éducation culturelle et à la démocratisation culturelle. Comme un retour à la IIIe République, la fusion entre ministère de l’Éducation et de la Culture s’esquisse tant les candidats Verts, LFI, LR, PS et PCF lient étroitement les deux champs. Si Fabien Roussel (PCF) va le plus loin en annonçant ce grand ministère doté d’un plan national pour l’éducation artistique à l’école ; Les Républicains souhaitent jumeler chaque école avec un établissement culturel et favoriser les subventions pour les structures culturelles portant un programme d’éducation dédié.
Autre sujet communément partagé, la démocratisation culturelle irrigue les programmes. Valérie Pécresse (LR) chez qui la culture arrive en neuvième position devant la politique étrangère et le désendettement, promet de travailler sur la circulation des œuvres et propositions culturelles hors de Paris, et d’instaurer une « journée nationale des héros français ». De son côté, Anne Hidalgo qui promet de « redonner à la culture sa place centrale dans notre projet républicain » mise sur le développement d’artothèques, médiathèques publiques destinées aux arts plastiques, et investissement de l’art dans les hôpitaux, universités, commissariats et administrations. Dans la même veine mais fidèle à son identité, Yannick Jadot envisage une réflexion sur la transmission éco-responsable de la culture par le truchement d’aides à l’éco-conception et de l’hébergement écologique pour les tournées. A l’instar du camp socialiste qui veut lutter contre l’uniformisation des contenus, lui souhaite promouvoir la diversité culturelle par la lutte contre les algorithmes des plateformes de streaming, le soutien des médias associatifs, des cinémas d’art et d’essai et des librairies indépendantes.
Et les artistes dans tout ça ?
Sujet peu audible dans les précédentes élections, les auteurs et les artistes-interprètes occupent cette fois-ci nombre de prétendants à l’Élysée. LFI souhaite améliorer le régime des intermittents du spectacle sur la base des revendications du mouvement d’occupation des théâtres de 2021. Le parti de Jean-Luc Mélenchon projette aussi un Centre national des artistes-auteurs pour discuter du meilleur régime de protection sociale de ces professions. Emmanuel Macron a quant à lui déclaré souhaiter « poursuivre l’aide à la création et aux artistes », en mettant l’accent sur une meilleure défense des droits d’auteur et droits voisins dans le droit européen. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il appelle de ses vœux la création d’un « métavers européen », destiné à contourner des agrégateurs anglo-saxons et chinois peu soucieux des droits d’auteurs. Au PS, le projet porte sur une « juste rémunération » des auteurs, artistes, interprètes et producteurs, mais aussi des résidences dans toutes les scènes publiques et l’imposition d’un quota de 10% dans les programmations des institutions au profit de la nouvelle création. Chez les Verts, un revenu garanti pour les artistes-auteurs est envisagé, profession que les communistes espèrent doter d’un « authentique statut ».
Initiative privée ou patronage public ?
Concernant le reste des programmes des candidats, s’affrontent deux visions économiques de la culture. D’un côté la gauche dénonce une « marchandisation de la culture » contre laquelle elle s’inscrit en faux à coups de politique de nationalisation : formation de pôles publics nationaux décentralisés de l’art et de la culture au PCF, encadrement des tarifs des lieux privés, création d’une médiathèque publique en ligne gratuite, suppression du régime fiscal du mécénat et instauration d’un domaine public commun pour financer la création nouvelle côté LFI. La gauche est d’ailleurs la seule à promettre un réinvestissement massif du secteur : 1 milliard d’euros supplémentaire par an prévoit le candidat écologiste Yannick Jadot (EELV) et un retour à 1% du budget de l’État pour Jean-Luc Mélenchon (LFI). A l’opposé, Valérie Pécresse défend l’intervention privée dans les politiques culturelles en renforçant le mécénat, simplifiant les aides au cinéma, et initiant une filière industrielle de studio de tournage sur le modèle britannique. Emmanuel Macron souhaite pour sa part s’inscrire dans la lignée de l’appel à manifestation des « Mondes Nouveaux », lancée sous son patronage en juin 2021, et poursuivre ainsi une politique de grandes commandes publiques. Tout en – paradoxe ? – supprimant la redevance audiovisuelle qui rouvre le débat sur l’indépendance de l’audiovisuel public au travers de son mode de financement.
La culture reste la portion congrue des programmes et des annonces…
Illustration : Antonio Giovanni Pinna