Laurent Grégoire et Cécilia Pietrzko
À l’heure où le digital marque une nouvelle ère dans la découverte des artistes, le rôle de l’agent ou du manager peut paraître superflu face à un artiste-interprète désormais investi de toutes les missions. Pourtant, la place accordée à l’agent ou au manager demeure indispensable pour garantir le développement d’une carrière et l’accès à de nouvelles opportunités. Afin d’établir une relation de confiance qui s’installe dans la durée, il faut être particulièrement attentif au choix d’un bon agent ou d’un bon manager, mais aussi aux différentes réglementations qui régissent cette collaboration.
Nous avons échangé avec Laurent Grégoire, directeur de l’agence Adéquat (Omar Sy, Isabelle Adjani, Romane Bohringer, Carole Bouquet…) et avec Cécilia Pietrzko, manageuse et cofondatrice du label musical Grown Kid, qui a notamment révélé James BKS. Manager, pour recueillir leurs conseils de « l’intérieur ».
De quelle manière doivent se choisir un artiste et son agent/manager ?
Cécilia Pietrzko : Le premier manager de l’artiste est souvent un ami, une connaissance ou un membre de la famille. Lorsque l’on démarre dans ce métier, on a besoin de quelqu’un qui y croit plus que nous, mais cela peut donc être un proche, surtout dans le milieu de la musique, ou une personne très expérimentée ; cela dépend surtout de là où se situe l’artiste dans sa carrière, son potentiel et ses ambitions. Il faut se choisir mutuellement et que les objectifs soient alignés.
La proximité entre un agent/manager et l’artiste représente-t-elle un avantage ou, au contraire, un inconvénient ?
Cécilia Pietrzko : Cela peut être les deux. Il y a des couples dans l’artistique (musique, cinéma ou autre) qui ont été des duos incroyables dans le business. Beaucoup d’artistes décident aussi de rester en famille, comme chez les sportifs où il n’est pas rare de voir le père ou le frère d’un footballeur être son agent. A priori, le gros avantage dans ce type de relation familiale c’est la confiance, parfois difficile à trouver lorsqu’il s’agit d’une personne tierce…. Ensuite, peuvent venir aussi leur lot de problèmes. La situation peut devenir plus vite conflictuelle puisqu’il y a aussi une forme de proximité : il y a moins de filtres, la barrière est plus fine. Tous les cas sont très particuliers : cela dépend de la personnalité de l’artiste et du manager et il reste difficile d’être catégorique devant ce cas de figure.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du métier d’agent et ses spécificités, notamment à l’ère du numérique ?
Laurent Grégoire : J’ai commencé à travailler dans ce milieu comme assistant d’agent, puis comme agent, dans les années 90. J’ai eu l’occasion d’intégrer de nombreuses structures différentes et, quand j’ai commencé, il y avait beaucoup de bureaux de taille modeste, qui avaient souvent comme point commun de porter le nom de leur fondateur. C’étaient des bureaux d’impresarios à une époque où le métier n’était pas aussi structuré, avec peu de producteurs, pas de directeur de casting et beaucoup moins d’acteurs… Notre industrie ressemblait plutôt à un artisanat, qui n’était pas très développé. Arte, Canal Plus, M6…n’existaient pas à l’époque : il y avait beaucoup moins de films, donc de rôles à pourvoir. Nous sommes ensuite passés des imprésarios à des agences modernes où les contrats se sont beaucoup développés et complexifiés. Alors qu’il n’y avait que le cinéma et la télévision à l’époque, aujourd’hui, les contrats doivent intégrés en plus la VOD et le streaming. À mon sens, il faut être meilleur juriste de nos jours et notre rôle de conseil s’est aussi modifié avec les nouveaux modes de diffusion. Je dis toujours qu’un agent possède trois rôles : promouvoir, trouver des rôles, négocier les contrats et vérifier leur exécution. Il ne faut pas juste négocier un contrat mais veiller à ce qu’il soit exécuté, c’est pourquoi beaucoup de gens travaillent dans les agences pour s’occuper des paiements et des intéressements financiers. Ces deux missions sont donc liées dans la même personne qu’est l’agent. On ne peut pas seulement s’occuper de l’artistique ou du juridique : il faut passer beaucoup plus de temps sur les contrats, notamment à l’international avec la nouvelle offre qui se développe, comme nous le voyons grâce à Lupin.
Cécilia Pietrzko : Aujourd’hui, on peut avoir le sentiment que l’artiste peut faire beaucoup de choses par lui-même et a la possibilité de construire sa carrière avec moins d’intermédiaires qu’avant. Sa proximité avec le public via les réseaux sociaux remet parfois en question la place de l’entourage ou encore l’intérêt des labels. C’est une réalité. Les artistes peuvent faire de plus en plus de choses par eux même et beaucoup d’entre eux se perde aussi dans de multiples rôles c’est pourquoi à l’ère du numérique et de l’indépendance la place d’un bon manager peut se révéler clé pour soulager l’artiste et lui permettre de se recentrer sur son art.
Est-il important de se fixer des limites dans votre accompagnement en tant que manager ?
Cécilia Pietrzko : Tout à fait, je pense qu’il faut en avoir. C’est même indispensable. Même si on va souvent aller au-delà du cadre prédéfini : être l’allié, le psy, le confident… On peut se sentir parfois débordé par tous ces rôles et donc il peut être nécessaire de se fixer des limites. Il est important qu’il y ait une répartition vie privée/vie professionnelle même si le manager est capable de brasser plein de spectres surtout au démarrage d’une carrière et en l’absence d’un entourage pro déjà étoffé, être efficace c’est aussi ne pas se disperser dans trop de casquettes, parfois non maitrisés.
À quel moment de sa carrière et d’après quels besoins un artiste doit-il se décider à changer d’agent ?
Laurent Grégoire : Il n’y a pas un moment particulier, c’est comme dans un couple, il faut agir quand ça ne va plus. Il y a un moment où les parcours personnels divergent, où les insatisfactions professionnelles émergent, où on a le sentiment que l’on n’est pas sur le même chemin et que l’on ne défend pas les mêmes valeurs. Peu importe nos envies, la façon de gérer les choses, il est important d’identifier les moments où l’on n’arrive plus à rien. Il faut prendre des décisions quand nous ne sommes plus sur la même longueur d’ondes.
Cécilia Pietrzko : Quand ça ne colle plus tout simplement.
Comment imaginer l’implication d’un manager dans un processus d’auto-production ?
Cécilia Pietrzko : Que ce soit un processus d’auto-production ou pas, moins il y a de personnes dans l’entourage, plus le rôle de chacun va être important. Inévitablement, la polyvalence est essentielle. Bien entendu, quand un artiste évolue dans un contexte où il y a un éditeur, un producteur, un label, le manager facilite tout ça, mais lorsque nous ne sommes pas encore dans un écosystème où il y a toute une équipe en place, le manager endosse un peu toutes les casquettes qui sont inexistantes autour du projet. C’est encore plus complet comme mission et essentiel dans la forme de l’auto-production. Il faut aller chercher des ressources dans tous les possibles qu’imagine l’artiste. Le partenariat est encore plus clé à ce moment-là.
De quelle manière un artiste peut-il trouver un agent/un manager aujourd’hui ?
Laurent Grégoire : Les artistes qui débutent se plaignent souvent à juste titre qu’il y a beaucoup de nouveaux entrants sur le marché du travail et qu’ils n’arrivent pas à trouver un agent. Un artiste déjà confirmé peut plus facilement changer d’agent. Les jeunes artistes se disent, à juste titre, que c’est le débat de la poule et de l’œuf : faut-il d’abord faire un embryon de carrière pour avoir un agent ? Ou, au contraire, avoir un agent pour démarrer sa carrière ? Est-ce l’agent qui va nous trouver des opportunités ou bien l’inverse ? Il n’y a pas de vraies bonnes réponses, parfois on rencontre quelqu’un dans un cours de théâtre, on flashe sur lui et on a envie de le représenter parce qu’il nous inspire. Afin d’être remarqué par un agent, un jeune acteur qui commence doit prendre le pouvoir. Aujourd’hui, il y a plein de manières d’exister sur les réseaux sociaux ou au théâtre. Aujourd’hui, dans ce nouveau monde, il est plus facile d’être repéré et autonome.
Il faut utiliser les réseaux pour montrer qui vous êtes !
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